ARMAND LUNEL (09 juin 1892-03 novembre 1977)
Sa jeunesse
Armand Lunel, né à Aix-en-Provence, descendait d'une de ces familles juives qui, ayant habité la ville de Lunel au Haut Moyen Âge, étaient venues trouver refuge au XVe siècle, dans les États du Pape. C'est ainsi que sans lien de parenté entre eux, son père et sa mère portaient tous deux le nom de Lunel.
Armand Lunel fit de brillantes études au Lycée Mignet, à Aix. En classe de philosophie, il fut rejoint par Darius Milhaud ; l'amitié fraternelle qui unit alors les deux jeunes gens se poursuivit toute leur vie durant. À Paris, à la "Khagne" de Henri IV (1909-1911), Armand Lunel fut l'élève du philosophe Alain. L'enseignement de ce maître exceptionnel fut à ce point capital pour le développement intellectuel du jeune étudiant, que celui-ci, à l'intervalle de plus d'un demi-siècle, écrivit : "Quant à son enseignement, il nous opérait littéralement de la cataracte".
Admis dès son premier concours à l'École normale supérieure (1911), agrégé de philosophie (1914), Armand Lunel resta cinq ans sous l'uniforme et fut ensuite nommé professeur de philosophie au lycée de Monaco où il exerça de 1920 à 1956 (guerre 1939 et occupation exceptées).
Il épousa, en 1920, Suzanne Messiah, fille d'un architecte niçois. Le couple, auquel s'ajoutèrent plus tard deux enfants, ne cessa d'habiter Monaco, où tous ses anciens élèves demeurèrent très attachés à l'excellent pédagogue dont ils avaient recueilli l'enseignement. Armand Lunel disposait toutefois de temps pour se consacrer à la littérature. Encouragé par Jacques de Lacretelle, puis par Albert Cohen, Armand Lunel allait alimenter son inspiration romanesque par ses souvenirs de famille. Dans la branche maternelle, ses ancêtres n'avaient jamais quitté Carpentras, même après la Révolution, et son grand-père, Albert Lunel, érudit, ami de Frédéric Mistral, défraya la chronique locale du XIXe siècle.
Armand Lunel l'Ecrivain
Trois ouvrages d'Armand Lunel, ayant Carpentras pour décor, se succèdent ainsi : "L'imagerie du Cordier" (conte féérique) 1924, "Esther de Carpentras" (théâtre) 1926, comédie inspirée par une composition écrite en provençal par un ancêtre, le rabbin Jacob de Lunel (env. 1672-1757), enfin : "Nicolo-Peccavi" qui fit d'Armand Lunel le premier lauréat du prix Théophraste Renaudot (1926). Le roman décrit l'émotion qui saisit les habitants de la petite ville, alors qu'en pleine "Affaire", le Capitaine Dreyfus, revenu gracié du bagne, prenait quelque repos auprès de sa famille de Carpentras. Sur cette trame, l'écrivain a fixé un récit où se mélangent l'invention romanesque et les souvenirs d'enfance.
Les romans qui suivront se situent dans le Vaucluse, puis plus au Sud, à Nice et Aix-en-Provence. Ce seront : "Occasions", 1926, "Noire et grise", 1930, "Le balai de sorcière", 1935, "Jérusalem à Carpentras", 1937, "Les amandes d'Aix", 1949, "La belle à la fontaine", 1959.
La littérature n'a pas constitué le seul domaine d'intérêt d'Armand Lunel. Il a beaucoup écrit sur la Provence et, au terme de trois voyages, un ouvrage sur le "Sénégal", 1966, textes où s'allient les descriptions géographiques, l'histoire et la gastronomie. Critique d'art, son goût pour la peinture moderne remontait loin, puisqu'avec Darius Milhaud il avait, avant 1914, été sensible au génie de son compatriote, Cézanne.
Très tôt également il avait contribué à l'œuvre musicale de son ami Milhaud par des textes de poèmes et de chansons. A plusieurs reprises il déploya ensuite un talent particulier, très apprécié des compositeurs, pour l'écriture de livrets d'opéras pour Milhaud ("Les malheurs d'Orphée", "Esther de Carpentras", "Maximilien") et pour Henri Sauguet ("La Chartreuse de Parme").
Mobilisé en 1939, destitué en 1940 par le gouvernement de Vichy, Armand Lunel fut maintenu à son poste un an de plus par le gouvernement monégasque. C'est à la protection personnelle du Prince Louis II de Monaco que la famille d'Armand Lunel, ainsi que plusieurs familles juives habitant en Principauté, durent d'échapper aux rafles et à la déportation.
En 1945, Armand Lunel se trouve au premier plan parmi les écrivains français d'origine juive et, tout en poursuivant sa production littéraire, il étend sa notoriété auprès d'un autre public. En 1952-54, il écrira le livret de "David", opéra composé par Darius Milhaud, créé à Jérusalem. Toute sa vie il avait voulu écrire l'histoire de ses ancêtres et de ses coreligionnaires du Comtat Venaissin ; c'est alors un travail de pionnier. "L'Histoire des Juifs du Languedoc, de la Provence et des États français du Pape" obtint le Prix Gobert d'Histoire de l'Académie Française et l'ensemble de l'œuvre de l'écrivain fut récompensé par le Grand Prix national des Lettres (1976).
Armand Lunel est mort à Monaco en 1977.
Georges Jessula.
Principaux écrits d'Armand Lunel
L'Imagerie du Cordier, roman, NRF, Gallimard, 1924
Occasions, nouvelles, NRF, Gallimard, 1926
Esther de Carpentras, théâtre, NRF, Gallimard, 1926
Nicolo-Peccavi ou l'Affaire Dreyfus à Carpentras, roman, NRF, Gallimard, 1926
Noire et grise, roman, NRF, Gallimard, 1930
Le Balai de Sorcière, roman, NRF, Gallimard, 1935
Jérusalem à Carpentras, nouvelles, NRF, Gallimard, 1938
Par d'étranges Chemins, Jaspard, 1945
La Maison de la Femme peinte, nouvelles, avec lithographies d'André Marchand, La Voile latine, 1946
Les Amandes d'Aix, roman, NRF, 1949
La Belle à la Fontaine, roman, Arthème Fayard, 1959
J'ai vu vivre la Provence, essai, Arthème Fayard, 1962
Sénégal, l'Atlas des Voyages, Rencontre, 1966
Jérusalem à Carpentras, nouvelles, Le Nombre d'Or, 1967
Juifs du Languedoc, de la Provence et des Etats français du Pape, Albin Michel, 1975
Nicolo-Peccavi ou l'Affaire Dreyfus à Carpentras, nouvelle édition avec préface de l'auteur, Folio, 1976
Mon ami Darius Milhaud, Edisud, 1992
Les Chemins de mon Judaïsme, L'Harmattan, 1993
Frère Gris, L'Amourier,2000